Les fans de cyclisme qui aiment traîner sur les réseaux sociaux ou sur YouTube connaissent sans doute cette vidéo. Celle de l’étape du Tour de France de Luz-Ardiden en 2003, où un Lance Armstrong écœurant de supériorité avait écrasé la concurrence en revenant notamment sur un Sylvain Chavanel échappé depuis de longues bornes. La séquence a été revue et commentée par un YouTubeur, Uugooo, avec un humour assez corrosif.
La petite tape dans le dos qu’Armstrong a offerte à Chavanel en le dépassant, Jannik Sinner aurait pu faire la même avec Andrey Rublev lundi soir à Roland-Garros. Précisons-le, on ne fait pas cette comparaison en raison de la récente affaire de dopage qui a valu une suspension à l’Italien: les instances ont reconnu qu’il n’avait pas eu l’intention de tricher, ce qui le différencie assez nettement du sulfureux cycliste texan.
Non, c’est juste qu’on a pensé à cette vidéo, lundi soir sur le Central, en voyant l’écart de niveau entre le n°1 mondial et son adversaire. Rublev pouvait frapper un bon coup, deux bons coups, Sinner finissait souvent par inverser le court de l’échange, en deux ou trois frappes impeccables. Comme un père qui taperait la balle avec son fils, et peut accélérer quand il le souhaite.
Le Russe a mis un peu moins de temps que Jiri Lehecka au tour précédent pour marquer son premier point (le Tchèque a perdu 6-0, 6-1, 6-2 en 1h34). Mais à part le premier jeu, où l’Italien a été en danger (tout relatif) sur son service, le suspense n’a jamais été rendez-vous. Rublev a bien servi dans le troisième set, ce qui lui a permis d’atteindre le cap symbolique de 2h00 de jeu (6-1, 6-3, 6-4).
Ce n’est pourtant pas n’importe qui, le Andrey Rublev en question. On parle d’un 15e mondial, qui a été de longues années dans le Top 10. Une valeur étalon du circuit, même si son plafond de verre est évident: il a atteint les quarts de finale sur le quatre tournois du Grand Chelem, à 10 reprises au total… sans jamais aller plus loin.
Avec son jeu en cadence, Rublev était une proie facile pour Sinner. « Il fait la même chose que lui, mais en moins bien, ça ne pouvait pas marcher », a analysé Fabrice Santoro sur Prime Vidéo. Mais à ce rythme, on se demande bien qui peut embêter le Milanais. Alexander Bublik au prochain tour ? Son tennis est déroutant, c’est déjà ça. On sait qu’il va essayer, mais peut-il tenir le cap sur un match en cinq sets.
Qui pourra battre Sinner ?
Ensuite, ce sera du lourd quoi qu’il arrive. Alexander Zverev ou Novak Djokovic en demi-finale. Peut-être Carlos Alcaraz en finale, pour une affiche de rêve. C’était celle du Masters 1000 de Rome, où l’Espagnol a trouvé la clé. Il reste sur quatre succès de rang face à Sinner, ce qui est très loin d’être anodin. Et laisse penser que lui seul peut le priver d’un troisième titre en Grand Chelem consécutif, après l’US Open et l’Open d’Australie.
Jannik Sinner domine le circuit de façon silencieuse. On n’entend que le bruit de son coup droit, souvent frappé à la perfection. Il ne donne pas l’impression de taper fort, mais sa balle part vite. Elle est précise, rasante. Ce n’est pas cela qui fait lever tout un stade après un point de folie (c’est plutôt la spécialité d’Alcaraz), mais c’est terriblement régulier, et surtout efficace.
Lundi soir, toujours, Fabrice Santoro a dit ceci après la balle de match: « La rencontre n’a duré que deux heures, mais on peut prendre du plaisir avec un concert de deux heures ou un match de football de deux heures. » Certes. Mais on est presque certain que les spectateurs des deux night-sessions de Gaël Monfils ont pris une plus grand dose de plaisir, avec un spectacle décousu mais enthousiasmant. Ceux qui étaient au match de Sinner, eux, peuvent se dire qu’ils ont vu à l’œuvre le meilleur joueur du monde. Le futur vainqueur du tournoi ? Réponse d’ici dimanche…